mardi 13 mai 2014

Un peu de culture dans votre confiture : La photographie préraphaélite



Oui j'aurais pu parler des magnifiques peintures des fondateurs de la confrérie préraphaélite : Hunt, Millais et Rossetti réunis sous le sigle PRB dès 1848.
Mais ce serait trop simple (non en réalité j'ai fait un exposé sur le sujet!)



Le Christ dans la maison de ses parents - John Everett Millais 
Le rapport de la photographie à la peinture peut être comparé à celui que cette dernière entretenait avec la gravure. Ce qu'il faut comprendre par là, c'est que les deux médiums vont s'apporter mutuellement : la photographie, comme la gravure, ne sera qu'au départ un simple moyen de transmission, mais va petit à petit prendre son envol et devenir un art à part entière. Au Royaume-Uni, pour la période qui nous intéresse, la photographie victorienne n'est encore considérée que comme un moyen et pas un but en soi. Et, sous l'influence de personnalités atypiques, celle-ci va peu à peu faire ses preuves, et ce sera le cas avec les photographes préraphaélites.
                Il est très difficile de définir quand, exactement, la photographie dite "préraphaélite" a débuté et fini. Nous pouvons juste déterminer que celle-ci a possiblement commencé dans les années 1850, et a probablement perdu de l'influence dans les années 1880. La difficulté provient du fait que ces photographes ne se sont jamais considérés comme préraphaélites, et les peintres du mouvement ne les ont jamais considérés ainsi non plus, car il s'agissait avant tout d'un mouvement pictural. 

La photographie Préraphaélite

Avant toute chose il est important de comprendre et de connaître le mouvement préraphaélite pour pouvoir le retrouver dans les dites photographies.

Ce mouvement débute donc en 1848 pendant le règne de la reine Victoria en Angleterre, et, contrairement à la France, Angleterre victorienne glorifie la peinture de genre et la vie quotidienne (urbaine ou rurale). Ainsi les paysages et natures mortes sont très prisées.
Ce sont donc 3 élèves de l'académie qui décident d'abandonner l'art trop formaté pour un art plus proche de la nature, tout ceci sous le terme " Préraphaélite".

Leurs principes sont:
- La peinture d'après nature
- L'utilisation de couleurs pures, vives
- Le non respect des règles de l'anatomie et de la perspective

Et la photographie, qu'en est il?

C'est en parallèle qu'un nouveau médium apparaît : la photographie 
D'abord avec la technique du daguerréotype en France ( par Louis Jacques Mandé Daguerre et Nicéphore Nièpce - le pauvre est souvent oublié) dès 1835 - date du premier daguerréotype par Daguerre


Mais en Angleterre (puisqu'on fait jamais rien comme les Français hein.) on utilise le collodion, qui est certes moins précis que son rival français mais qui a la possibilité d'être reproduit à l'infini grâce à son procédé négatif/positif (contrairement au Daguerréotype qui ne produisait qu'une plaque en métal unique.)
Sa technique utilisant de l'éther et des sels d'aluminium permet un grand progrès dans les temps de pose (on passe a 30 secondes). Mais ce n'est pas le seul intérêt de cette technique : l'amélioration du rendu des détails est impressionnante - nous sommes donc ici dans la même optique de recherche du détail dans la nature que les préraphaélites.
De plus, des procédés sont utilisés afin de retrouver de vives couleurs : la technique du virage
Ce sont des bains de produits chimiques qui permettent de donner des teintes de sépia brunes ou bleutées (instagram avant l'heure!).

Mais la photographie de cette époque a ses limites.
- si l'on expose suffisamment pour voir les détails d'un paysage le ciel se retrouve surexposé (presque "brûlé")
Ceci amène des stratagèmes comme la combinaison des négatifs



Cette photo réunit 30 négatifs! Ce qui amène des petites incohérences comme des personnes volantes ( cherchez bien!)

Ce qui permet dans le même temps de créer de véritables tableaux vivants.

Mais alors qu'est ce qui réuni les deux milieux?

A première vue lier la peinture et la photographie semble assez banal (il est avère a notre époque que la photographie est un art) Mais ce n'était pas du goût de tout le monde à ce moment là et un débat marque les décennies suivant l'invention de la photographie.

Relevé-t'elle de la science ou de l'art?
Ce débat peut d'ailleurs se voit en 1862  à l'exposition universelle où les photographies sont refusées dans la parties des œuvres d'arts et sont placées à côté des machines industrielles ( Finalement les photographes vont tellement s'indigner qu'ils vont être placé dans la catégorie "autre".)

Mais pourquoi?

Certains la considèrent comme trop mécanique pour parvenir au rang d'art : il fallait prouver qu'elle pouvait traduire l'imaginaire et l'idéal, et non pas seulement la réalité.

Ceci sera très rapidement fait par des photographes anglais
Par exemple Two Ways of life va inspirer de nombreux photographes préraphaélites

Tout ceci amène une autre question

La photographie fut elle la graine du préraphalisme?

C'est une question qu'il est légitime de se poser puisque celle ci fut très vite appréciée par ces peintres à la recherche de réalisme. On accusait presque les les préraphaélites de copier la photographie. Sans aller jusqu’à là on sait que la photographie va avoir un impact sur la représentation.

-  Aplatissement des formes
Réduction du champ de vision
Fort contraste des ombres et lumières 

Tout ceci va rapidement se retrouver dans la peintures, et on va aussi voir des thèmes identiques, notamment les sujets littéraires ( comme les thèmes arthuriens)
Il ne faut pas oublier une chose, ils vivent dans le même pays. Il y a cet univers visuel très particulier :  mêmes paysages, mêmes plantes, même lumière,(même pluie et grisaille d’ailleurs).




Néanmoins le rôle de la photographie dans le mouvement n’a pas été « officialisé ». Il reste tout de même des preuves de ces étroites relations : certains peintres étant eux-mêmes photographes (comme Mark Anthony)
Même si les artistes n’ont laissé que peu d’écrits sur leurs réflexion quant à l’impact de la photo sur leur art, leurs toiles sont là pour témoigner l’influence qu’elle a exercé.


Venons en au vif du sujet!

La photographie préraphaélite, comme tout courant, a eu ses sujets de prédilection, et il parait normal qu'ils aient commencé avec l'homme, le plus grand défi à relever.

Les portraits

Cependant, si le portrait ainsi réalisé s'avère évidemment ressemblant physiquement parlant, il n'est pas pour autant "fidèle", l'essence même de la personne n'est pas forcement captée. Les longs temps de pose ne permettent pas de prendre des expressions sur le vif, et ce n'est pas l'objectif  des photographes professionnels qui recherchent avant tout à gagner de l'argent simplement.  Pourtant, certains artistes-photographes voulaient justement trouver un moyen de rendre la vraisemblance du modèle grâce à des techniques artistiques. 
Ce sont avant tout des photographes amateurs qui cherchent à révolutionner le milieu, car ils pratiquent la photographie en tant qu'art, par pour une activité lucrative. Pour eux, un vrai portrait fidèle doit être le résultat d'une véritable rencontre entre l'artiste et son modèle, pas simplement cinq minutes passés dans un cabinet. On peut donc citer, parmi les techniques employées pour s'imprégner du modèle, la méthode du flou artistique utilisée par Julia Margaret Cameron




La récurrence des modèles




Jane Morris : Muse du cercle préraphaélite, on la retrouve aussi dans une série de photo commandée par Dante Gabriel Rossetti



Ellen Terry:  Qui se retrouve aussi bien dans les photo de Cameron que Lewis Carroll.

Mais au-delà de la représentation humaine, les photographes préraphaélites s’intéressent également à la mise en image de différents thèmes issus de la littérature et de l'art en général.

Des tableaux vivants

La photographie pour pouvoir être considéré au même rang que la peinture ne doit pas s’arrêter aux portraits et simples paysages

En effet ces photographes se distinguent par leur volonté de « raconter des histoires ». Cette volonté se comprend par le lien que la photographie a avec les préraphaélites. Les sujets inspirent et se retrouvent souvent

Pièces de Shakespeare
Poème de Tennyson
Légende d’Arthur
Vie moderne
Romance (thème de prédilection)
Par exemple ici une étude du personnage de Shakespear : Iago ( qui fut rapproché de cette peinture du christ de Domenico Fetti) , il y a désormais tout un travail sur les personnalités dans la photographie

Grâce à la technique des multi négatifs on va pouvoir composer les photographie a la façon d'un tableau et utiliser son vocabulaire (le toucher entre les modèles, les jeux de regards, des éléments symboliques...)

Mais la réalisation de ces images faisait prendre aux photographes beaucoup plus de risque que les peintres.
Pour exemple dans Fading Away  de Robinson, on voit la représentation des derniers instants d’une jeune fille.




 Le public est choqué car cela est traité par le « médium de la réalité ». L’appareil photo ne ment pas, et cela parait morbide et cruel de représenter cela. (même si le public va finalement accepter qu’il ne s’agisse que d’une mise en scène.)
 On y voit en effet  l’épouvantable réalité de la maladie (surtout la tuberculose qui à cet époque fait des ravages) mais aussi ses connotations romantiques. Ainsi de a même manière qu'un tableau cette photographie est composés de plusieurs éléments symboliques romantiques:
-ciels chargé de nuages noirs
des fleurs fanées
- deux grands rideaux qui sont finalement preuve de la "théâtralisation"


Et, comme dans un tableau, on peut y voir différentes interprétations selon l’identité de l’homme
-          Père ?
-          Mari ?
-          Amant ?
Selon ceci, l’expression de la jeune fille peut porter différents sentiments
-          Culpabilité
-          Tristesse
-          Soulagement
Ainsi pour un médium aussi précis, il nous laisse dans le flou si je puis dire. (je suis tellement drôle) 

 En effet ces tableaux vivants connaissent une ambiguïté au niveau de la critique, Certains sont à la fois encensé par certains critiques (comme la tête de saint Jean Baptiste)  mais dans le même temps d’autres œuvres, pourtant moins morbide (Quatre figure et un chien), sont critiqués , à cause du cadre de la scène qui n’est pas réel ( il y a un montage de plusieurs morceau d’une petite rivière pour faire une mare)




Certaines photographies seront directement reprises dans certains tableaux
( The Lady of Shalott / Ophelia)






Ces photographies sont un peu des objets hybrides liant poésie, photographie et peinture.

 Il y aurait encore beaucoup de chose à dire sur la photographie préraphaélite, on pourrait parler de deux grandes figures mythiques telles que Lewis Caroll et Margaret Cameron mais cet article deviendrait bien trop long!




Finalement on se rend compte qu'on peut qualifier ces photographes du terme préraphaélite pour de nombreuses raisons. Il y a des sujets communs, des modèles, et surtout des impressions, c’est personnellement comme ça que je l’ai perçu. Ce qui se dégage de ces clichés est beaucoup plus fort que toutes les photographies antérieures que j’ai pu voir.
Mais il ne faut pas penser que ces inspirations ne vont que dans un sens, la photographie a aussi planté sa graine dans la peinture préraphaélite.
Il ne faut pas non plus penser que le préraphaélisme et sa photographie étaient identiques. L’appareil photographique va perdre les couleurs vives qui caractérisent la peinture pour mieux gagner en profondeur, détails et précision.
Mais il y a aussi des différences intrinsèque, les photographes eux-mêmes n’utilisent pas les mêmes techniques (négatifs combinés, flou, recherche du détail…) ni la même vision de l’art.
Les mouvements qui vont suivre seront beaucoup plus personnels et aussi plus symbolique, on va peut à peu se détacher de cette idée du « médium de la vérité » pour arriver à rendre l’invisibilité de la pensée.
Aujourd’hui, même la photographie n’est plus considérée comme un médium sûr, malgré sa précision, car choisir un point de vue n’est pas montrer "la" réalité, mais l’idée que le photographe a de "sa" réalité.
Les préraphaélites, eux, n’ont jamais vu la photographie comme porteuse de la vérité, mais comme un simple moyen de transmettre l’imaginaire dans le réel.

6 commentaires:

  1. Tout d'abord merci pour cet article exposé fort intéressant !
    Associé le nom et un peu de son histoire et d'essence sur un art qui me plaît est vraiment bien.
    J'aime cette phase de photographie car la frontière réalité/peinture est très proche, si proche que cela joue sur nos perceptions, c'est unique ! Les daguerréotypes dégagent quelque chose de psychique presque je trouve, une ambiance particulière. J'adore :)

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    1. Je pense que c'est un de mes moment préféré en photographie, on ou fait réellement de la photographie un art! J'aime beaucoup le dagguereotype, mais je trouve que les couleurs sépia/bleuté du calotype me font plus d'effet!

      Merci merci <3

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  2. Merci beaucoup pour cet article ! J'adore passer sur ce blog, j'y apprends toujours beaucoup de choses **
    Aussi, j'aimerais poursuivre des études en histoire de l'art /mavie/ et je suis heureux de voir qu'il y a toujours de nouvelles choses à découvrir.. merci encore pour cet article vraiment fascinant !

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  3. Ah merci ça me touche beaucoup!
    Tu sais tu peux toujours (si tu as du temps) assister à des cours en fac (pour les CM) c'est gratuit :D

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  4. Bonjour,
    J'ai trouvé cet article très intéressant, mais j'ai été étonné (déçu) de ne pas y trouver les sources.
    Serait-il possible d'y remédier?
    Merci d'avance et encore bravo pour ce travail :)

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    1. Merci du commentaire, j'avais en effet oublié de les poster et je ne retrouve pas le document avec ma bibliographie complète (j'ai fait ce travail il y a 1 an)
      BAJAC Quentin, HEILBRUN Françoise, Orsay : la photographie, édition scala, paris, 2003
      BIRCHALL Heatger, préraphaélites, Taschen, 2010, köln
      FAGENCE-COOPER Suzanne, Pre-Raphaelite Art in the Victoria & Albert Museum, Londres, V&A, 2003
      Dir. FRIZOT Michel, Nouvelle histoire de la photographie, Paris, Bordas, 1994
      Dir. GUNTHERT André, L’art de la photographie, Paris, Citadelles & Mazenod, 2007
      Dir. PLOWMAN Fiona, Tout sur la photo, Flammarion, Paris, 2012
      WOLF Sylvia, Julia Margaret Cameron’s Women,Chicago, The art institute of Chicago, 1998

      « Les préraphaélites » consulté le 23 novembre 2013[En ligne] url :http://www.histoiredelart.net/courants/les-preraphaelites-18.html
      Musée d’Orsay « Une ballade d’amour et de mort » consulté le 24 novembre 2013 [En ligne] url :http://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/au-musee-dorsay/presentation-detaillee/article/une-ballade-damour-et-de-mort-27129.html?tx_ttnews%5BbackPid%5D=649&cHash=9e338816cf

      Alors voici une partie je crois qu'il en manque un ou deux dont ce superbe hors série qui est le plus complet sans aucun doute, je le conseille ;)
      http://www.musee-orsay.fr/fr/collections/publications/publications/notice-publication/article/une-ballade-damour-et-de-mort-27129/publication_id/une-ballade-damour-et-de-mort-la-photographie-preraphaelite-en-grande-bretagne-1848-1875-les.html?tx_ttnews%5BbackPid%5D=254&cHash=658274c740

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